La petite histoire de Flying Home...
Flying Home est un succès emblématique des années 40 qui va définir à lui seul l’esthétique et le style de référence pour les saxophonistes du rhythm’n blues de la décennie et des suivantes. Ce morceau, co-signé par Lionel Hampton, Benny Goodman, Eddie DeLange sur des paroles de Sid Robin, est crédité, à l’origine, au vibraphoniste et percussionniste Lionel Hampton.
Selon la légende, il en sifflait nerveusement le riff principal ce jour de 1939 où, attendant de rentrer chez lui, il voyageait pour la première fois en avion (vol de Los Angeles à Atlantic City). Enregistré originellement par Benny Goodman le 6 novembre 1939, cette première version comporte des soli de Lionel Hampton et Charlie Christian. Mais la version la plus célèbre, celle qui va déchaîner les passions est celle de 1942 avec le non moins célèbre solo d’Illinois jacquet.
Le solo d’Illinois Jacquet...
Lionel Hampton, vibraphoniste tout juste sorti du giron du clarinettiste “star“ venait d’engager une équipe de très jeunes musiciens parmi lesquels on trouve dans la section de saxophones Dexter Gordon et Jean-Baptiste “Illinois“ Jacquet aux ténors. Ce grand orchestre marqua une étape décisive pour le vibraphoniste qui s’imposa de suite comme leader de big band grâce à ce titre issu de sa toute première session d’enregistrement. Pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître. Nous sommes en 1942, Illinois Jacquet a tout juste 20 ans. Au fil des années, l’impact de ce thème avec cette fin spectaculaire ne faiblira jamais.
Flying Home devint le point culminant de chacun des concerts de Lionel Hampton et Illinois Jacquet, chauffant le public à blanc, se trouvera contraint, avec ou sans le vibraphoniste, de “mettre le feu“ tout au long de sa vie avec ce même solo. Par ailleurs, ces 64 mesures seront considérées comme le chorus fondateur du rock’n roll naissant et l’emblème des “honkers & screamers“.
Pour l’anecdote, Kenny Clarke, présent à la séance, racontera que le jeune ténor ne souhaitait pas (ou n’osait pas) prendre le chorus. Poussé par ses camarades, Illinois Jacquet finit par monter sur une table afin de se rapprocher du micro comme le lui avait demandé l’ingénieur du son. Pour amuser la galerie, il se trémoussa pendant l’enregistrement, singeant, dans son phrasé, les “anciens“, n’hésitant pas à citer en intégral le pont de Texas Shuffle gravé par Hershel Evans pour le grand orchestre de Count Basie. Ces deux grilles de trente-deux mesures seront pourtant définitives au point de devenir les emblèmes de toute une génération. Flying Home devint ainsi l’un des points culminant de la Swing Era. Dans son autobiographie, Malcolm X décrit la première fois qu’il entendit Flying Home en concert. « Les spectateurs hurlaient, trépignant d’impatience, scandant le titre de Flying Home pendant une bonne partie de la soirée à Lionel Hampton. Le vibraphoniste finit par exaucer les vœux de la foule en délire. Je n’ai jamais vu une telle explosion de joie, une telle fièvre exprimée par la danse, une véritable transe ».
Dans son autobiographie, Lionel Hampton raconte le jour où, se produisant à l’Apollo à Harlem, un homme ayant sans aucun doute abusé de substances illicites se jeta du deuxième balcon au moment où l’orchestre attaqua le morceau. « Sans doute pensait-il pouvoir voler pour rentrer chez lui » raconte ironiquement le vibraphoniste. De fait, le morceau avait une telle réputation de « pouvoirs démoniaques » qu’un soir, dans le Connecticut, la police a tout bonnement interdit à Hampton de jouer ce morceau de peur que le balcon ne s’écroule. Ainsi ce Flying Home électrisa t-il des générations de publics comme des générations d’autres musiciens. Ils furent nombreux à reprendre ce morceau au sein de leur répertoire. L’agencement de ses riffs, sa théâtralisation et sa suite harmonique facilitant l’expression individuelle (véritable tremplin pour les solistes) ont souvent inspiré les arrangeurs des grandes formations (de Glenn Miller à Buddy Rich). Il existe quantité de versions de Flying Home et, toujours, le chorus d’Illinois Jacquet est repris en intégral, même quand ce morceau est chanté (Ella Fitzgerald). Au sein du big band d’Hampton, Arnett Cobb, qui occupait le poste d’Illinois parti chez Basie, a dû en enregistrer une deuxième version (1944) afin de se démarquer de l’empreinte laissée par son prédécesseur au poste de ténor soliste. Mais là encore, la trace du premier, sa construction, son développement, sont perceptibles et largement cités.
D’autres saxophonistes l’ont décortiqué afin d’en faire la base d’autres thèmes du rhythm’n blues ou du rock’n roll des années 40 et 50 (Red Prysock, King Curtis, Rusty Bryant, Willis “Gator Tail“ Jackson, Big Jay Mc Neely, “Big“ Al Sears, Hal Singer, Sam “The Man“ Taylor, Eddie Chamblee, etc.). Avec ce solo, Illinois Jacquet est devenu le chef de file des Texas Tenors, ces saxophonistes au gros son, aux propos virils sachant faire patte de velours sur les ballades. Il est l’héritier en cela d’Hershel Evans, qui donnait la réplique à Lester Young au sein du big band de Count Basie, ouvrant grande la voie aux : Arnett Cobb, Buddy Tate, Jimmy Forrest et, plus tard, dans les années 50 puis 60, aux Stanley Turrentine, Eddie Lockjaw Davis, Johnny Griffin, King Curtis, Gene Ammons, Houston Person, etc.